La destruction du pont Barbey à Barneville-Carteret
Longtemps négligé,
l'ensemble du patrimoine non protégé, qui contribue à la richesse de notre région, fait
désormais l'objet d'un intérêt croissant. Les collectivités territoriales, à commencer par les
communes et les communautés de communes, sont en première ligne de cette prise de conscience.
Cet effort de valorisation se traduit par des visites guidées, des expositions, des conférences
et des publications mais aussi par un soin nouveau apporté à l'entretien et la restauration
des manoirs, églises, chapelles, lavoirs, boulangeries, puits, croix des chemins ... qui nous
environnent. Convient-il en effet de rappeler combien le patrimoine contribue non seulement à
l'attractivité de nos communes, mais aussi à la qualité de notre cadre de vie et à notre éveil
culturel ...
Comme on dit cependant, « l'enfer est pavé de bonnes intentions » !
Tant qu'elles restent inaperçues, nos vieilles bâtisses vieillissent certes, s'abîment et parfois
disparaissent. Mais à vrai dire, quand ils ne sont pas protégés au titre des monuments historiques,
c'est surtout lorsqu'on entreprend de les restaurer que ces édifices se trouvent en danger. Le
cas du pont Barbey à Barneville-Carteret, situé sur l'antique grand chemin de Barneville aux Pieux,
n'est malheureusement qu'un exemple parmi beaucoup d'autres, combien caractéristique cependant
d'une démarche qui, prenant pour départ la volonté honorable de la commune et de la Communauté
de communes, aboutit à la destruction pure et simple d'une construction pluri-centenaire,
témoignage à la fois du savoir-faire des anciens bâtisseurs et de l'organisation des voies de
communication d'un bourg médiéval.
Que s'est-il donc passé ?
Le 29 septembre 2003, le conseil de la communauté de communes de Barneville-Carteret, poursuivant
un programme engagé en 1998, décide de réhabiliter 11 édifices du petit patrimoine rural non
protégé dont le pont Barbey, pour lequel il s'agit de rétablir les parapets rasés depuis
longtemps (par qui ?) pour assurer le passage d'engins agricoles. Les travaux commencent, un
parapet est presque achevé quand ils sont suspendus suite aux protestations du seul cultivateur
empruntant le pont pour accéder à son champ.
Le 14 janvier 2004, le conseil municipal de Barneville-Carteret « vu le projet de
création d'un ouvrage d'art en remplacement d'un pont inadéquat chemin du Pont Barbé (pont cadre
et murets) présenté par les services techniques de la commune, considérant la nécessité de ces
travaux pour la sécurité de la libre circulation ... approuve le projet présenté pour un
montant global de 35.312 € ... précise que les travaux ne recevront pas commencement d'exécution
avant la réception de l'avis des services préfectoraux ...» .
C'est à l'unanimité qu'a été votée la mort du pont Barbey, sans même qu'un projet autre que la
destruction ait été étudié et chiffré en termes de dépenses et de possibilités de financement.
Ainsi, on était passé de la réhabilitation au saccage pur et simple de ce patrimoine communal.
Notre intervention auprès du maire et celle de l'association « Protection et développement
de la Côte des Isles » ont provoqué son embarras mais n'ont pas été suivies d'effet. Fin
août 2004, le pont médiéval a été démoli à grands coups de pelleteuse par une entreprise bien
connu à Barneville-Carteret et remplacé par un pont en béton, chef-d'oeuvre de l'art des
bâtisseurs d'aujourd'hui, qui mérite d'être classé monument historique au motif qu'il représente
ce que l'on peut faire de plus laid et de plus bâclé en ce début du XXIe siècle !
Il faut donc rappeler que notre patrimoine est fragile, qu'il ne suffit pas, pour le restaurer,
d'avoir de bons sentiments et de belles idées mais qu'il faut aussi posséder des compétences
historiques, archéologiques et en techniques de réhabilitation ainsi que l'appui d'une vraie
réflexion sur son évolution et son affectation dans le monde actuel.
Notre propos n'est donc pas de stigmatiser l'attitude des élus dans cette affaire mais, tout
simplement d'insister pour que tous nos élus apprennent l'art de la concertation et que,
conscients de leurs limites, ils sachent s'entourer d'avis compétents. Même et surtout lorsqu'il
s'agit du patrimoine non protégé, il ne leur est pas interdit de consulter les architectes des
bâtiments de France et le C.A.U.E. de la Manche (conseil d'architecture, d'urbanisme et d'
environnement) qui travaille en liaison avec le Conseil Général et est habilité pour apporter
gratuitement aux collectivités locales et aux particuliers des conseils sur la conception
architecturale et technique des projets ainsi que des renseignements sur la réglementation en
vigueur.
Mais combien faudra-t-il encore de « Journées du Patrimoine » pour qu'enfin nous
soyons tous persuadés que nous sommes dépositaires et non pas propriétaires du patrimoine,
qu'il soit ou non protégé, et que nous avons le devoir de la transmettre à ceux qui viendront
après nous ?
Jean BARROS
Le 20 Septembre 2004 |