La révolte de Nicolas Hulot
Quel regard portez-vous sur la campagne présidentielle qui s'amorce ?
C'est parti pour être bien franchouillard ! Comme si tout se jouait à l'intérieur de l'Hexagone, alors que les désordres climatiques rendent obsolètes les frontières ! On n'a toujours pas intégré la plus grande menace qui ait jamais pesé sur l'humanité: le péril climatique. La majorité des candidats à l'élection présidentielle semblent s'en désintéresser. Il faut examiner à la loupe leurs tribunes, leurs ouvrages ou leurs interviews pour trouver une malheureuse allusion au réchauffement climatique. C'est atterrant. Quant aux écologistes, faute de privilégier une démarche unitaire, ils sont inaudibles ! Il faut décréter la mobilisation des consciences, mettre en place une véritable union sacrée autour de la lutte contre l'effet de serre.
Est-ce à dire que vos efforts incessants de lobbying auprès des politiques sont muffles ?
J'ai vu tous les candidats en tête à tête. Leur écoute paraît sincère, ils semblent partager, en privé, ma volonté d'agir, mais ils ont tôt fait de reléguer tout cela aux oubliettes pour des raisons de logique électoraliste. Je renvoie dos à dos personnalités de gauche et de droite. Le discours de Nicolas Sarkozy lors de la convention de l'UMP sur l'écologie m'a laissé sur ma faim: c'est une sorte d'habillage, comme si l'écologie était un problème parmi d'autres. Idem du côté socialiste. On m'écoute poliment mais on ne m'entend pas. La preuve ? J'ai proposé à Nicolas Sarkozy d'un côté, à François Hollande et Ségolène Royal de l'autre, la création d'un poste de vice-Premier ministre chargé du développement durable. Tous m'ont promis de prendre en compte cette proposition. Depuis, aucune nouvelle...
Peut-être ont-ils trouvé cette réforme institutionnelle un peu osée...
C'est inédit, mais je répète que l'humanité court à sa perte ! Se contenter d'un ministère de l'Ecologie, c'est le meilleur moyen de ne rien faire. Il faut placer le développement durable au coeur de la politique gouvernementale. Cela ne peut venir que du sommet de l'Etat. Un vice-Premier ministre se chargerait d'une planification à moyen et long terme, de façon à soulager le Premier ministre et le Président, forcément prisonniers du court terme.
Face à cet immobilisme, songez-vous à présenter votre candidature ?
Si rien ne bouge d'ici à novembre, tout est possible. Etre candidat à la présidentielle n'est ni ma vocation ni mon fantasme. Mais si la seule solution est de franchir la ligne rouge, je ne l'exclus pas. Encore une fois, que les politiques prennent leurs responsabilités, qu'ils osent enfin dire aux Français que nous courons à la catastrophe si rien n'est fait.
Quelles autres réformes réclamez-vous ?
L'objectif principal est de lutter contre l'effet de serre. Pour cela, j'attends des changements radicaux dans le domaine de l'énergie, des transports et de l'agriculture. Premièrement, il faut mettre en place une politique drastique d'économies d'énergie et créer un bouquet énergétique en misant sur tout ce qui est renouvelable. L'éolien, par exemple, peut être optimisé. On peut instaurer, petit à petit, une fiscalité énergétique qui se substituera à la fiscalité sur le travail. Hors de question de mettre au pilori seulement les 4x4. Tous les biens de consommation doivent être concernés. Imaginons une fiscalité incitative pour tous les produits respectueux de l'environnement. Et pénalisons tout ce qui est énergivore.
Que proposez-vous en matière de transport ?
Tout simplement un changement de priorité. Un exemple parmi d'autres: comment peut-on continuer à créer la tentation avec des voitures qui peuvent rouler à 200 km/h alors qu'on va vers la pénurie de pétrole ? Contraignons l'industrie à cesser de fabriquer des véhicules qui n'ont plus aucune raison d'être. Pourquoi créer la tentation d'un côté et la culpabilité de l'autre ?
Et les réformes agricoles ?
Il faut modifier en profondeur les pratiques dans ce domaine. Notre agriculture est énergivore et polluante. Encourageons les agriculteurs, qui sont d'abord les victimes d'un système, à produire de la qualité. En conditionnant les aides non à la production mais au coût environnemental. Une réforme de la PAC s'impose. J'appelle à l'organisation d'états généraux de l'agriculture au lendemain de l'élection présidentielle pour préparer cette révolution écologique.
C'est ni plus ni moins une révolution globale que vous proposez...
Si on ne veut pas aller vers une société de privation, il faut imaginer une société de modération. Ce n'est pas par dogmatisme que je mets en cause l'ultra-libéralisme, mais par pragmatisme: chacun peut comprendre que dans un monde où les ressources s'épuisent (eau, pétrole...) il faut de la régulation.
Regrettez-vous d'avoir roulé pour Jacques Chirac ?
II me semble que j'ai bien fait d'aller sensibiliser un homme qui, de par sa culture, était très éloigné des enjeux écologiques. Ma démarche a obligé la droite traditionnelle à s'interroger sur les engagements du Président et la gauche à se positionner. Si je m'étais encarté chez les Verts, je n'aurais pas eu la possibilité de faire diffuser ces idées. Il fallait «déghettoïser» l'écologie.
Vous sembliez pourtant avoir pris, ces derniers temps, vos distances avec le Président.
Je veux d'abord saluer son engagement écologique à l'extérieur. Si les Russes ont ratifié Kyoto, c'est sans doute parce que 1'Elysée a ouvre en coulisses. Autre mesure phare, la taxe sur les billets d'avion. C'est un bon début et il faudrait maintenant envisager de taxer l'ensemble des produits de luxe. Mais il est vrai qu'après l'adoption de la charte sur l'environnement, j'ai pris quelques distances. J'avais l'impression qu'on m'invitait à Matignon plus pour me calmer les nerfs que pour avancer ! Bref, que les actes ne suivaient pas les discours. Reste que, depuis huit mois, le gouvernement a pris quelques louables mesures comme la taxation sur les vignettes pour les voitures les plus polluantes ou la signature du décret sur l'interdiction des sacs plastique aux caisses. Mais cela n'est pas suffisant.
Tout le monde semble avoir aujourd'hui conscience de la menace climatique, surtout avec le retour de la canicule.
Plus aucun scientifique sérieux ne conteste que l'effet de serre génère un réchauffement climatique global.
En France, les climatologues ont constaté un degré d'élévation moyen de la température depuis une vingtaine d'années. Même s'il faut rester prudent, la canicule actuelle semble témoigner de cette évolution, comme les inondations à répétition ou la sécheresse. Nous allons assister à des désordres colossaux: des précipitations plus violentes, de graves sécheresses qui engendreront des crises migratoires, sanitaires, des tensions géopolitiques. Elles provoqueront aussi une érosion plus brutale encore de la biodiversité.
Selon vous, c'est l'autre grand péril écologique de ce siècle...
Et pourtant, personne n'en parle ! C'est une tragédie: on assiste actuellement à la plus grande perte d'espèces animales et végétales depuis que la vie existe sur Terre.
Chaque jour, des espèces disparaissent sans même qu'on ait eu le temps de les recenser. Non seulement on se prive ainsi de ressources alimentaires ou médicales, mais tous les grands équilibres se trouvent bouleversés.
Dans la nature, comme dans l'humanité, on est plus fort quand on est varié et divers que quand on est uniformisé.
La révolte de Nicolas Hulot (Le Journal du Dimanche, 30/07/2006)
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